Le nom de Ruthie Knox m'a enfin décidée à ouvrir ce titre, tant je me souviens avoir adoré La Nuit dernière.
Cette histoire, en deux tomes, s'ouvre sur une scène des plus incongrues, écrite dans un mode un peu tourbillonnant, avec cette fille un rien hystérique, Ashley, cadenassée à un palmier au milieu de la cour d'un complexe hôtelier en ruine, et ce grand beau ténébreux, Roman, trop classe pour être vrai, au sourire ultrabright et aux yeux froids polaires. Ah... se dit-on, avalant goulûment en deux coups de cuillères à pot cette entrée : Bon, c'est du tout cuit... Une godiche et un dieu sans cœur. Et l'on s'apprête à gentiment se laisser bercer par une histoire vue et revue, et des caractères vus et revus aussi, avec rédemption à la clé etc etc... et aussi, vu le contexte, sea, sex and sun, non? Floride, palmiers, chaleur, tout ça.
D'abord, d'évidence, j'avais clairement oublié ce qui m'avait tant plus chez cette auteure : son écriture. Virtuose, et en même temps discrète et sans effets de manches, elle m'a vraiment bluffée. Ruthie Knox, et apparemment c'est une de ses caractéristiques, manie à la perfection une espèce de prose tragi-comique. On croirait une comédie... mais pas tant cela, finalement.
Car derrière les bons mots, les situations cocasses ou rigolotes, les bourdes, les lourdeurs des héros, on entraperçoit, en filigranes permanents, les failles, les non-dits, les blessures souterraines et tout cela sourd au travers d'une pellicule de cruauté, volontaire bien souvent de la part des héros, quasi permanente.
Comme si vivre, pour ses héros, et créer du lien, c'était désarçonner, bousculer, mordre, pincer, et créer ainsi de la réaction. Comme si, pour Ruthie Knox, donner vie à des êtres de papier, c'était les donner à voir dans toute leur parfaite imperfection, car elle ne leur fait pas de cadeau et ne nous les rend pas toujours sympathiques.
Roman, on peut le trouver vraiment odieux et triste sir, une belle coquille vide, un magnifique emballage et c'est tout, fixé sur son but à lui : faire de l'argent, creuser son trou d'aisance. Quant à Ashley, elle a la maturité d'une gamine de 14 ans parfois, se montrant impulsive, mal élevée, sale gosse, quoi, mal aimée et paumée, avec ses cheveux sales et ses impulsions farfelues.
Grattons un peu... Au fil des pages, Ruthie Knox nous donne à voir des personnalités qui gagnent en profondeur, en couches et sous-couches, qui portent des masques pour mieux se protéger des blessures extérieures, et qui serrent les dents en essayant de vivre avec ces images d'eux-mêmes qu'ils se trimballent bon an mal an.
Encore une fois, on retrouve cette thématique des antithèses parfaite, du moins en ce qui concerne ce que chacun donne à voir : Roman, l'afro-cubain aux yeux noirs, est un Adonis froid et parfaitement maître de lui-même, tandis qu'Ashley, la nymphette blonde, vibre de sensiblité exacerbée dans son mini-short moulant et ses boucles de cheveux désordonnées. Un couple improbable vu comme une terre de contrastes, et ça marche, tant ils sont semblables de cœur, tout deux, êtres meurtris par la désillusion et la tristesse, en quête d'amour et de sécurité.
Ashley, l'idéaliste, la paumée solaire et Roman, le cynique méfiant, se correspondent bel et bien, lorsqu'il lui met le nez dans la réalité pour l'aider à grandir et magnifier ce qu'elle est, ou lorsqu'elle provoque en lui ces frémissements intérieurs qu'il a refusés pendant de si longues années.
Alors, oui, il y a des défauts dans cet ensemble, sans doute, des exagérations, de possibles caricatures, des aventures un rien tirées par les cheveux, du "un peu de trop" parfois, et peut-être aussi du trop vite sur la fin dans le changement de comportement de Roman.
Mais franchement, ce que j'aime là, c'est bien cet art du portrait feuilleté habilement manié, et cette langue facile à lire, qui sait faire rire et s'émouvoir, et finalement s'attacher à des personnages qui ne nous étaient pas de prime abord très sympathiques. Il va sans dire que je lis le second tome !
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