Quand deux fraudeurs, deux mécréants se rencontrent, il ne peuvent que se reconnaître, comme deux redoutables prédateurs qui se reniflent au milieu d'un troupeau de moutons bêlants...mais cela ne signifie pas forcément se connaître. Plutôt s'épier, se surveiller, s'intriguer, puis se fasciner et se séduire. Un équilibre périlleux, mais néanmoins parfait. A l'image de tout le livre.
Felix, le parangon de toutes les vertus aristocratiques, éblouissant de beauté et de bonnes manières, affable et complaisant, discret, fluide et étincelant à la fois, avec ses yeux verts translucides, affole la bonne société. Le Gentleman Idéal, l'intouchable, le parfait, reste célibataire à 28 ans, peu décidé semble-t-il à se laisser passer la bride au cou. Car Felix a érigé autour de lui maintes barrières infranchissables. Sous ce front uni et cette prestance incomparable, il abrite de multiples loquets dont il a jeté les clés dès l'enfance. Traumatisé par une soif d'amour jamais étanchée et par la souffrance quotidienne d'avoir été manipulé comme un pion par une mère aux contours parfaits, mais cruelle, froide et vindicative, il s'est promis de ne jamais, jamais, perdre le contrôle : pas d'amour, pas de désir, mais une saine indifférence glacée sous un vernis d'amabilité et cette aura de puissance qui draine tous les cœurs après lui.
Solitaire il a été, solitaire il restera, mais en toute connaissance de cause, fort de son pouvoir sur autrui et sur soi-même.
So he learned to play the game.
He planned to eclipse her in both acclaim and influence – a fitting tribute from the son whom she had so little regard.
As for his father, Felix’s tribute to him would be to never repeat the man’s great mistake of loving with all his heart and soul. Friendship he would permit, and perhaps some mild affections. Love, however, was out of the question.
Love made one powerless. And he had had enough powerlessness to last ten lifetimes. In this new life of his, he would always hold all the power.
And he succeeded remarkably.But then he meets Louisa.
Louisa Cantwell n'est pas grand-chose dans la société, ou si peu. Mais à 24 ans, unique fille débrouillarde dans une fratrie de cinq sœurs, elle sait qu'elle ne peut compter que sur-elle-même pour assurer l'avenir de ses sœurs. Courageuse, lucide Louisa, qui décide de mettre tous ses œufs dans le même panier dans un seul but : épouser, sans se mettre en danger de souffrir plus que nécessaire, un gentleman au statut intermédiaire qui saura se satisfaire de sa beauté quelconque, de son manque de fortune et de son vécu provincial. Sans grand talent, il est vrai, sans grande beauté non plus... mais avec un aplomb irrésistible, et après un certain nombre d'années de préparation, elle sait désormais mettre en avant tous ses atouts pour fabriquer un personnage convaincant : de la gaieté, de l'esprit, un buste avantageusement rembourré, des cheveux nourris de produits afin de les rendre chatoyants, et quelques jeunes hommes affables suffisent à lui donner bon espoir. Ses objectifs sont clairs : deux gentlemen ont le profil idéal, ni trop fortunés, ni très renommés. Car il ne sert à rien de viser plus haut que nécessaire. Et surtout, de rêver à autre chose.
Lorsqu'elle rencontre, au détour d'une soirée, Lord Wrenworth, ses convictions vacillent... Comment s'empêcher de fantasmer sur ce qui ne peut pas être?
Prince Charming, absolutely. The Holy Graal, almost.
Instantanément, Felix la perce à jour. Et l'admire. Pendant des semaines, il ne cessera plus de l'épier, jetant en pâture de ci de là quelques mots ou quelques regards à cette femme qui, loin de l'admirer, semble se méfier de lui alors même qu'elle ne peut cacher son attirance.
Deux héros qui se reconnaissent et finissent par s'aimer pour leurs défauts, leurs secrètes transgressions des bons codes, et cette complicité tacite qui les lie. Mais leur relation, teintée de méfiance et d'incompréhension, n'est pas un long fleuve tranquille. Loin s'en faut.
Mon sentiment
Merveilleusement écrite, c'est une histoire à la fois profondément cruelle, et fascinante !
D'abord par les deux merveilleux héros, complexes, puissants, que Sherry Thomas a imaginés. Lord Wrenworth, insondable, secret et assoiffé de contrôle, malgré - ou à cause de - son esprit retors, à la fois cruel, méchant et contrôlé - m'a absolument subjuguée. Un Janus devant lequel tout s'ouvre à volonté, mais qui devra apprendre à lâcher prise.Or toute idée de dépendance affective lui fait horreur.
Everything he did in life was in the pursuit of power - personnal power, the ability to hold others in his thrall while he himself remained serenely unaffected.
A man who wanted nothing had the world at his feet.
Louisa est l'idéale pendant de ce personnage hors du commun, intelligente sans impertinence, intuitive et sensible à la fois, féminine et sensuelle, elle fascine et séduit le héros sans comprendre vraiment ce qui en elle l'attire.
A sensible woman who could afford only a gig did not spend her days dreaming of barouches.
Tous deux sont très fins, malins, et improbables. Car s'ils aiment, c'est bien pour leurs secrets.
Le ton est plutôt noir pendant toute la première partie du roman. Cruauté, cynisme et fascination transparaissent dans l'écriture caustique et resserrée. Pattes de velours et coups de griffes, les rencontres et les dialogues entre les héros m'ont fait retenir mon souffle, intelligents, vifs, et traversés d'ondes érotiques de plus en plus magnétiques à mesure que le récit avançait. Une sensualité intense relie Felix et Louisa, avant même le moindre baiser...
D'ailleurs, à part une main posée sur une joue et l'effleurement d'une mèche de cheveux, rien de tangible ne se passe entre eux pendant la première moitié du livre. Mais que c'est électrique ! Sherry Thomas a eu une idée de génie : tout se passe entre eux de manière désincarnée, par le seule force des mots et des voix, des objets ou des lieux intermédiaires. Très vite, ils s'engagent dans une danse de séduction basée sur la suggestion et l'analogie (la canne de Felix, son utilisation des folies qui se dressent sur son domaine) et les fantasmes que lui raconte Louisa. On a là un jeu de mise à distance qui prend tout son sens lorsqu'on entre dans la psychologie complexe des héros : se montrer, se dérober, s'exhiber, se contrôler, s'offrir...
He smiled slighty.
"Do you like it when I touch you my not-walking strike?"
C'est juste magnifique et diablement efficace ! La température augmente régulièrement de page en page, et les scènes d'amour qui s'ensuivent, sans rien d'exagéré ni de graveleux, restituent magiquement la passion incontrôlable qui les jettent l'un sur l'autre. Le contrôle, toujours.
He wanted to strip her bare in every way. Her naked body was only the beginning. From there, her undisguised thoughts. At last, her unhidden heart.
C'est la première fois que je lis cette auteur en anglais. Eh bien, c'est magistral ! Beauté, sang-froid, cruauté et séduction, un cocktail détonnant, tout en maîtrise, riche, fluide et aérien à la fois. Avec des pages tour à tour noires et tendres, sarcastiques et émouvantes, sombres ou superficielles. Certaines scènes sont de purs moments de beauté : le prologue qui raconte l'enfance de Felix ; le premier regard que pose Louisa sur Felix, avec le lent mouvement de ses yeux sur ses chaussures, d'abord, puis le long de son corps ; ou la longue scène d'introspection de Felix après sa nuit de noces, resteront dans ma mémoire comme la parfaite illustration du fait que, oui, les auteurs de romances peuvent aussi être de grands écrivains !
Émotionnellement, on ne sort pas forcément indemne de cette histoire. Felix s'y montre particulièrement éprouvant lorsqu'il humilie Louisa, avec une cruauté et un sang-froid horribles. La rédemption, son chemin vers le pardon peuvent aussi sembler un rien raccourcis. Mais rien de tout cela ne m'a gênée, car rien de tout cela n'a pu refréner mon enthousiasme.
J'aime ces histoires riches de sens. Ici, Sherry Thomas offre une spectaculaire variation sur le pouvoir, le contrôle que l'on exerce sur soi-même et sur les autres. Mais aussi sur les barrières et les prisons mentales : celles qui défendent, celles qui enferment, celles qui maîtrisent et qui contiennent. Celles qui privent de liberté en donnant l'illusion du choix. Celles qui retiennent. Deux êtres enfermés dans des choix qu'ils n'ont pas choisis. Deux êtres épris d'infinis, dont le regard se tourne depuis l'enfance vers les étoiles.
A noter, ce livre est un préquel d'Arrangements privés. On y croise régulièrement Lady Tremaine, et cela m'a d'ailleurs donné envie de relire ce titre.
Pour terminer, une citation qui reprend en peu de mots tout ce que j'aurais voulu exprimer...
"So I don't trust you and you don't understand me."
He laughed despite himself.
"No wonder we get along so well."