Malgré mon enthousiasme, qui me conduit de plus en plus à écrire des tartines au fil du temps - je me demande pourquoi? - je vais essayer de faire court pour ce troisième tome, et tant pis pour les dix pages de notes de mon carnet de lecture !
Pour celles qui auraient eu la patience, la curiosité, ou l'appétit suffisamment développé pour ingérer mes deux précédents avis sur cette série sans faire d'indigestion, sachez qu'avec ce dernier opus, nous voyons apparaître ici un personnage largement évoqué, Asher MacGregor, le frère aîné disparu au Canada depuis sept longues années.
Le voici donc réinvesti de son titre de Comte de Balfour et de sa fonction de chef de famille et de clan des MacGregor en vertu de son statut d'aîné (si vous vous en souvenez, c'était Ian qui faisait office de Comte de Balfour dans les deux premiers tomes).
A la suite d'obscures circonvolutions familiales, Asher est chargé de réceptionner une héritière bostonienne, Hannah Cooper, sommée par son beau-père de se dénicher un mari dans la bonne société anglaise. Contrairement à ce que l'on peut croire, Hannah n'est pas en mal d'époux, elle n'a pas fauté et elle n'est coupable de rien, si ce n'est de vouloir préserver sa famille - grand-mère, mère et demi-frères- des coups tordus, de la brutalité, voire des sévices infligés par un beau-père tyrannique à souhait dans cette société où les personnes sous la coupe du paterfamiliasn'ont d'autre statut légal que celle de meubles.
Hannah est une personne qui rêve d'indépendance et de sécurité, et qui freine des quatre fers à la simple évocation d'un mariage. Asher la qualifie de "red-haired American rebel-spinster-heiress" et la surnomme aussi affectueusement Boston au fil de l'histoire. Sans aucune possibilité légale, elle essaye de se débattre pour pouvoir mettre un jour les siens à l'abri, ce qui lui donne un côté désespéré, car effectivement, ses capacités d'action sont très limitées. Sa vie est... boiteuse, comme elle-même (elle est légèrement handicapée suite à une chute dans l'enfance), et elle n'aura de cesse de tenter de trouver le juste équilibre entre ses besoins, ses désirs, et ses responsabilités familiales...
Asher MacGregor se serait bien passé d'avoir à accompagner cette inconnue au sein de la Saison londonienne. C'est un homme profondément marqué par les épreuves traversées au fil des années qui doit reprendre sa vie en main, ses responsabilités, tout comme les liens familiaux qu'il se sent coupable d'avoir délaissés. Je n'en dirai pas plus pour ne pas ôter son mystère à ce personnage complexe, riche et puissant, disons qu'il a plus que souffert et que sa tristesse, voire sa désespérance, en font un personnage très authentique et très fort. Héritier d'une triple culture, anglaise, highlander et indienne, c'est aussi un médecin soucieux du bien-être de ses proches comme des démunis, qui ne se livre pas facilement, mais qui veut mettre toutes ses forces dans ses devoirs présents. Son rapport aux autres, à sa famille, à la nature, est d'ailleurs fortement marqué par cet héritage, avec la prépondérance des liens claniques. Hannah l'appelle "A knife-wielding Indian Scottish Earl Physician" et le compare à un lion en cage.
Tous deux vont vivre une magnifique histoire d'amour, mais les difficulté vont venir de leurs obligations respectives, car, comme il est dit dans le résumé, un Océan les séparera au terme du séjour de quelques mois prévus par Hannah.
Que dire, sinon, que ce dernier tome m'a laissée plus que convaincue?
L'atmosphère générale de l'histoire a légèrement changé, Grace Buroowes raconte ici une histoire plus douloureuse, emplie de doutes, et ne cesse de nous démontrer que rien n'est possible entre ses deux héros. A cinquante pages de la fin, on se demande encore quelle solution Hannah et Asher vont bien pouvoir trouver pour vivre ensemble. Ce qui imprime une tension croissante à l'ensemble.
Pour faire court, même si je sens que c'est mal parti, pourquoi je l'aime, Grace Burrowes?
1) Ses héros prennent le temps de se connaître. Ici encore, leur amour commence par une belle relation faite d'amitié et d'échanges. Pendant les premiers chapitres, même s'ils ne sont pas amoureux, ils construisent déjà quelque chose, bien au-delà d'une approche uniquement physique. Et comme toujours, ses héros se parlent beaucoup. On a vraiment l'impression de participer à une rencontre,et une fois que la relation est installée... Les scènes d'amour sont à tomber (Sur la falaise en Ecosse, par exemple)... Complicité, compréhension, humour, sensualité, tendresse, le tout se mêle harmonieusement et certaines pages sont tout simplement adorables.
Un exemple de réplique d'Asher, après leur premier baiser (et les premiers baisers chez Grace Burrowes peuvent durer des pages et des pages, je crois qu'elle écrit les baisers comme personne !)... Un parfait équilibre d'humour, d'émotion et de sensualité :
"Am I presentable?"
His Boston, ferocious kisser of presuming earls, sounded shy, while her expression was so resolute it made him want to...
"Ye look damnly composed, Boston. I suppose you've made a squirrel's nest of my hair?" This was intended to force her to look at him. She obligingly eyed him up and down and then went up her on toes.
"You look a fright. The squirrels in Canada must be the size of moose," she said, smoothing her hand over his hair and her thumb over his bedamned eyebrows, while treating Asher to a maddening hint of lavender.
"It's more a matter of the squirrels in London being the size of American heiresses."
Grace Burrowes ne va pas forcément à la facilité. Elle n'élude pas les difficultés, met les pieds dans le plat, en évoquant par exemple les réalités de la vie et de la société anglaise de l'époque. Elle évoque aussi les réalités et les gestes quotidiens, et ne se fait pas faute de parler des besoins humains ou d'être assez crue dans les scènes d'amour, mais sans aucune vulgarité et sans aucun effet de manche. Mais le tout est divinement entremêlé à un humour omniprésent et à beaucoup de douceur et d'intelligence, et même d'une certaine tristesse. Ses trucs? Les petites choses... Les ballerines, les bouchées de biscuits qu'on s'échange, les tasses de thé ou les verres de whiskey qu'on partage, les menus gestes, les caresses du visage, du nez, des sourcils, des cheveux, les odeurs. Ses personnages sont très tactiles, ils aiment toucher, sentir et embrasser.
Il y a une vrai magie dans sa façon de mettre une famille en scène. La place des enfants est très marquée, très juste et très forte. Il faut voir les frères MaCgregor autour de "wee" John, le bébé de Ian ! Les MacGregor sont fascinants et riches. Les rapports entre frères, mais aussi avec les époux et épouses respectifs sont riches et bien travaillés, plein de complicité, d'humour et d'esprit.
Et quel charme véhiculent ces Highlanders victoriens ! Ces descendants de vikings surdeveloppés... La scène d'Asher qui fait du patin à glace en kilt m'a fait battre le cœur un peu plus vite, on peut comprendre pourquoi... Des hommes spirituels, protecteurs, amoureux, sexy et masculins, on aimerait bien les cueillir sur le coin de notre pallier, un de ces quatre matins. Rêve et magie assurés !
Et comme toujours, ses personnages secondaires, loin de faire-valoirs, ont de vraies personnalités et de vraies histoires. Ian est toujours aussi fascinant. J'ai regretté par contre de ne pas profiter davantage de la présence de Spathfoy, le héros du tome 2. L'amour et la tendresse, la vivacité des réparties, l'humour et la solidarité parcourent toutes les pages qui les mettent en scène. Ils se retrouvent tous, à de nombreuses reprises, avec en prime une apparition des Windham, héros d'une série précédente.
L'écriture de Grace Burrowes est magnifique, elle utilise les jeux de mots, les majuscules, l'ironie, les descriptions, les dialogues, avec énormément de grâce et beaucoup de naturel. Encore une fois, elle m'a fait rire, et elle m'a fait encore une fois pleurer. Par contre, je ne suis pas sûre qu'une traduction mettrait la richesse de son écriture en valeur. Le vocabulaire, très varié, les phrases et les tournures syntaxiques plutôt complexes la rendent cependant assez peu accessibles aux lectrices VO débutantes.
Pour conclure, il faut un vrai talent, je pense, pour mener une série à un point d'orgue aussi achevé sans effet de redondance ou de bâclage. C'est mission accomplie pour un sans-faute incontestable. Le seul petit point d'achoppement, c'est la solution qui dénoue la situation, un peu trop belle pour être vraie. Mais je pardonne à l'auteur tout, même cette infime maladresse, pour m'avoir donné autant de bonheur !
NB. Pour un avis court, j'aurais été capable de faire encore pire !