J'ai été conquise, et très surprise, par les partis pris de l'autrice, insolents et osés, dans le monde plutôt codifié de la romance historique. C''était déjà mon impression dans les tomes précédents, que j'ai lus avec délectation, mais je dirais que là, elle met la barre encore plus haut.
Dans ce tome-ci, dès les premières scènes, on nous met tout de suite dans le bain : ces hommes sont-ils des hommes (les deux), cette femme est-elle une femme, et qu'en est-il du perroquet (pardon, du chat) -mention spéciale à Roscoe le facétieux volatile? Ou, quand une pirate rencontre un jeune bourgeois cossu en mal d'aventures, la romance cesse de ronronner. Elle explose, littéralement.
Ici, les genres s'inversent totalement, du moins pendant la première partie de l'histoire.
Darlene Marshall enrobe ses personnages de tous les poncifs qu'on pourrait attendre d'une jeune demoiselle en détresse et d'un mâle à la virilité triomphante et assumée, sauf que, évidemment, on l'aura compris, c'est Mattie, le Capitaine St Armand, qui hérite des postures alpha, avec sa peau brune, ses cheveux noirs, sa haute taille et ses postures guerrières, et Oliver, rougissant et blondinet jouvenceau aux grands yeux bleus innocents, avec sa gueule d'ange, qui se fait enlever et malmener par l'amazone.
Si on a lu quelques romances historiques de la vieille école, on identifie vite les scènes emblématiques, même dans cette histoire aussi échevelée d'aventures ! On a bien l'enlèvement, le rapport dominé / dominant, avec une menace sous-jacente, la blondeur / le côté un rien satanique et déshinibé, le mentor qui apprend à l'innocent à se battre, et d'autres choses encore, la scène du bain avec le héros surpris, la scène du tailleur (il faut habiller le jeune homme), etc..., le tout sur un mode souvent désopilant et très sensuel. Le parti pris pourrait être lassant ou trop gros, mais en fait, je me suis prise au jeu, et je me suis franchement amusée.
Mine de rien, l'autrice dynamite proprement toutes nos certitudes, en même temps qu'elle questionne ses lecteurs sur le genre : qu'est-ce qu'un homme, qu'est-ce qu'une femme? Matie est bi, Oliver est attiré par un homme (et cela ira loin), Matie est va-t-en guerre, Oliver est écrivain et sensible. On se demande bien où tout cela va nous mener, en fait.
Matie fait très homme, jusqu'à la scène sensuelle inédite qui m'a éberluée. C'est vrai que le décalage est parfois un peu forcé. Pourtant j'ai apprécié cette aventure pleine de panache, surtout, ce qui évite la lassitude, lorsqu'elle prend des tonalités plus sombres.
On découvre alors, au-delà de cette espèce de comédie picaresque, des thèmes d'actualité (d'hier et d'aujourd'hui, d'ailleurs), sur l'esclavage (et le rôle qu'il joue dans l'équilibre économique des pays développés, et j'ai pensé aux petites mains qui nous habillent et nous équipent, nous, les pays riches, dans de lointains pays), le genre, ou la couleur de peau, et les différences de mode de vie et de rapports aux autres selon les latitudes où l'on se trouve.
Le déroulé de l'action nous entraîne à la suite des héros dans des actions héroïques, entrecoupées de scènes aux accents dramatiques, le ton s'assombrit, tandis que, parallèllement, les sentiments se renforcent et s'expriment de plus en plus.
Globalement, j'ai eu l'impression d'un récit initiatique, ce genre où le héros, au début, niais et vierge de toute connaissance sur le monde qui l'entoure, s'aguerrit en se forgeant une personnalité, au fil d'aventures multiples. Bizarrement, alors que Matie détonne énormément, il m'a semblé que l'histoire était centrée sur Oliver, qui est complètement révélé, à tous les niveaux, et devient homme, quelqu'un qui se connaît lui-même et qui sait ce qu'il vaut dans ce monde, grâce à ces expériences partagées aux côtés de sa Capitaine.
"Tu as fait de moi un homme nouveau, Mattie, chuchota-t-il.
Elle remua lentement la tête sur l'oreiller.
- Tu étais déjà cet homme. Tu avais juste besoin de te trouver."
Les derniers chapitres m'ont un peu laissée sur ma faim, portée que j'étais par le rythme intense de l'histoire. Cette fin était compliquée à amener, évidemment, mais du coup, il m'a semblé que l'histoire perdait un peu de son mordant et de sa flamboyance. Finalement, les vagues s'assagissent.
Pourtant, cela n'ôte rien au plaisir de cette lecture, pleine d'humour, de verve, de chaleur et de courage ! Inscrire le nom de Darlene Marshall dans les auteurs à suivre me semble désormais incontournable !
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