A la fin du XVIII ème siècle, Gabriel, un enfant abandonné voué à la prostitution, a grandi dans l'enfer sordide et douloureux d'une maison close parisienne. Jeune homme désespéré et suicidaire, d'une beauté surnaturelle et magnétique, il est anéanti par les expériences cruelles qu'il doit chaque jour surmonter. Ce sentiment de désespoir absolu le conduit à un détachement suprême, un cynisme blasé mâtiné d'alcoolisation extrême et à l'automutilation, pour se sentir encore vivant dans ce monde où "there's nothing to live for, no one who cares".
C'est un autre enfant qu'il prend un jour sous son aile protectrice, Jamie, un jeune anglais dont il sauve l'âme et le corps en l'éloignant de toute corruption, le protégeant de tout son corps et de toute son âme pendant 5 ans. C'est dans cet enfer que le comte d'Huntington et Lady Sarah Munroe, le frère et la soeur de Jamie, viennent chercher ce dernier, et ce faisant, contre toute attente, ils arrachent Gabriel à cette vie qui n'en est pas une, lui qui n'en espérait plus rien.
La suite se déroule ensuite en Angleterre, où, pendant des mois, Gabriel devra s'acclimater à une nouvelle vie,régies de relations si peu usitées, si éloignées de toutes les expériences qu'il a connues : jusqu'alors, on ne lui parlait pas, on ne l'écoutait pas, sa valeur d'être humain se concentrant uniquement sur la beauté de son corps et de son visage, son être intérieur nié et foulé aux pieds. Mais aujourd'hui tout a changé.
Pourtant l'ancienne peau ne mue pas si facilement, et l'évolution se fait dans la douleur, sous les yeux et les soins attentifs de la famille qui l'accueille, et sous ceux de Sarah, qui l'éveille peu à peu au respect, au dialogue, au partage, à la tendresse, à l'amitié, à la douceur, bref, à tout ce qui lui a fait défaut jusque là. Lui qui se vit comme un être dénué de toute humanité, dont le seul rapport aux autres s'est limité au sexe, se débat dans des volutes de honte, de colère et de solitude intérieure, et des mois seront nécessaires pour que la carapace se fende et qu'il construise une autre image de lui-même... Ces deux héros tourmentés partagent alors une magnifique aventure, aussi innocents l'un que l'autre dans leur approche de la tendresse et de l'amour. Et c'est juste magnifique.
Mon sentiment
Ces deux premières parties, déjà plus qu'intenses, où Judith James retrace avec un immense talent, une justesse de mots et de sentiments incroyable tous les tourments intérieurs de son héros, aussi bien que les interrogations, les hésitations et les tentatives de son héroïne, sont d'une force inouïe. Pour tout dire, dès les 20 premières lignes, j'avais la gorge serrée par la force des mots et des sentiments : j'étais hérissée pendant la majeure partie de ma lecture, hypnotisée aussi par ce personnage masculin hors du commun.
Les parties suivantes ne sont pas en reste, le récit continue dans la même veine, et jusque dans les plus hautes sphères romantiques et dramatiques ! Elles décryptent les transformations successives de Gabriel en l'accompagnant au fil de ses aventures .
Car c'est lui que l'on suit principalement dans la suite du roman (certaines trouveront peut-être que cette partie laisse peu de place à a la romance, mais je peux certifier que je l'ai lue d'une traite, tellement j'étais captivée). Les événements s'enchaînent sans faiblir, mais sans précipitation, car l'auteur prend tout son temps pour les installer, et c'est justement une des choses que j'ai aimée ici : cette histoire se déroule sur plusieurs années, ce qui lui donne un poids certain, de même que la justesse historique, avec des évocations variées des lieux ou de l'époque, des fonctions, des statuts sociaux ou des événements.
Les évolutions psychologiques de Gabriel, ses traumatismes liées à la fois à la prostitution, ou, plus tard, à la violence de sa vie de pirate et de mercenaire, sont retracées avec virtuosité, sans morbidité ni apitoiement. Juste la sordide réalité, et ses multiples effets. Forts, durs, impitoyables. Et Gabriel, en véritable et grand héros, ainsi que Sarah, en ultime héroïne romantique, sauront les affronter pour s'en libérer - un ange l'a libéré de son enfer (et ce roman aurait aussi pu être traduit en français sous le titre de "L'ange du passé").
Je ne peux pas m'arrêter là et passer sous silence les autres personnages masculins, qui, tous, mériteraient amplement un volume, tant ils sont séduisants, chacun à leur façon : Gipsy Davey, le cousin éloigné, corsaire et contrebandier ; Ross, le frère de Sarah ; William Killigrew, le comte de Falmouth ; et surtout, Jacques, le chevalier de Valmont, fabuleux français dont on ne peut que souhaiter lire les aventures futures. Pour celles qui ont lu les deux romans de Judith James traduits en français, il n'est pas étonnant, encore une fois, d'être confrontée à une telle palette de personnages secondaires, virils et franchement attirants . Elle a, apparemment, un talent particulier pour les rendre irrésistibles. Et je prie pour qu'elle soit en train d'écrire ces histoires, avec autant de talent que celle-ci !
Dernière remarque, mais qui a participé à tout le plaisir de cette lecture : pour une fois, une traduction en VF serait presque dommage, tant cette langue anglaise émaillée à toutes les pages de mots français est belle. Les propos de Gabriel et du chevalier n'en ont que plus de saveur et c'est un pur régal.
Pour conclure, j'ai vécu une sacrée expérience de lecture, mais c'était un vrai moment magique, sans souffrance ni sentiment d'inconfort et qui m'a fait expérimenter un profond sentiment d'empathie avec le héros, quelque chose de très rare, de très beau et de très riche.
Un souffle, une tempête, un ouragan plutôt, traverse ce roman intense, et je peux dire qu'il m'a balayée au gré de ses violentes bourrasques jusqu'à la dernière page.
Merci pour cette sublime chronique qui m'a conquise! J'espère sincèrement que ce titre sera édité dans notre langue même s'il perdra quelque peu de son charme.
RépondreSupprimerChère Luna05, ton commentaire me fait très plaisir, car ce livre est un vrai coup de cœur, et je suis vraiment ravie de t'avoir donné envie de le découvrir. Un juste retour des choses^^ sachant que tes avis magiques m'ont bien souvent fait rêver !
RépondreSupprimerUn jour, Harlequin le proposera en français, c'est o-bli-gé !
Merci pour ce compliment Everalice, il me touche beaucoup. Maintenant que j'ai découverts ton blog je vais le suivre avec assiduité! J'espère aussi qu'un éditeur se penchera sur cette œuvre et lui offrira une traduction à la hauteur. Plus qu'une chose à faire, commencer les harcèlements!!!!
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