Le début du roman nous fait pénétrer dans une espèce de comédie sentimentale au scénario rodé : une jeune femme, menacée et obligée de changer d'identité, se voit contrainte d'assister un homme qui, selon toute vraisemblance, se trouve à des années lumières de son statut social.
Elle, c'est Jane Ingleby, redoutablement efficace lorsqu'il s'agit de clouer le bec à un interlocuteur pénétré de son bon droit. Ses mérites ne s'arrêtent pas là, tant s'en faut, et c'est une héroïne comme je les aime qui prend vie peu à peu - opiniâtre, courageuse, lucide, digne, tendre, sensible et passionnée. Face à elle, l'insurpassable, l'extraordinaire Jocelyn Dudley, Duc de Tresham, à la mâle arrogance, à la hautaine froideur, qui manie le monocle, le pistolet ou les poings comme les mots, à la manière d'une lame très affutée. Qui peut et qui sait blesser. Quel magnifique specimen baloghien, à la mesure, j'imagine, de son Wulfric Bedwyn de Slightly Dangerous.
Mon sentiment
Un gros coup de cœur, encore une fois avec un roman de Mary Balogh... et un signe qui ne trompe pas : quelques heures après avoir fini ce roman mais je ne cessais de me le remémorer, dans une sorte de rêve éveillé. La dernière phrase lue, je n'ai eu qu'une envie : le relire immédiatement.
Le roman, très construit, une fois encore, prend place pour les deux premiers tiers dans des lieux clos : la demeure magnifique du duc, puis la maison de Jane, mais ce huis-clos, loin d'être étouffant, permet aux héros de se produire dans un élégant et jubilatoire ballet de dialogues, d'intentions et d'interrogations, qui va les conduire à se dévoiler.
Dans la dernière partie, nous retrouvons la scène londonienne, pour un épilogue très attendu... Tout se joue là, sur le devant de la scène sociale, où les personnages doivent reprendre leur place, abandonnée pour un temps.
Car ces deux êtres, catapultés l'un vers l'autre par la grâce d'un duel avorté, sont amenés, pour mieux s'extraire de leur chrysalide, à devoir s'exclure de leur monde, à faire l'impasse sur tous leurs automatismes : Jocelyn est reclus chez lui à cause de sa blessure, puis il rejoint Jane dans une nouvelle réclusion, plus intime, amoureuse, et sexuelle, au coeur de leur petite maison londonienne. Chacun est prisonnier de son histoire et de son passé, et c'est à force d'amour et de tendresse qu'ils parviendront à s'exprimer tout ce qui fait leur identité, à faire de leur dualité une profonde unité - comme leur véritable nom, celui que personne, ou presque, ne prononce jamais.
Everyone should know what it is to be called by name. By the name of the unique person one is at heart.
dit Jane lors de leur première scène d'amour.
"The moment in which the plurality of we would become singular."
L'identité comme une révélation, ou une renaissance.
Romantisme et passion traversent ces pages, et Mary Balogh ne se contente pas d'un seul registre. Elle utilise la tendresse comme la cruauté, la souffrance et l'espoir, l'humour, la tristesse, et tous les ressorts psychologiques de ses personnages sont merveilleusement rendus dans un texte charnu et délicat à la fois. Quel talent, elle me retourne ! Hypnotisée, subjuguée !