Encore
une fois, un héros complètement à l'opposé des héros alpha
basiques de nos romances. Encore une fois, une héroïne toute en
angles et en épines acérées.
En
cette fin de 18ème siècle, dans les années 1770, Leigh, déterminée
à venger la mort de ses parents et la tragique fin de ses sœurs, ne
vit plus que pour sa vengeance. Son cœur est mort, son âme s'est
desséchée, elle a perdu le goût de vivre, de croire, ou d'espérer. Son obsession, c'est de tuer le Révérend
Chilton, l'odieux prêtre sectaire qui a ravagé sa vie de jeune
fille heureuse et aimée.
Imaginez, la vie de Leigh, c'est comme si
on avait la famille Bennett de Jane Austen meurtrie, ou violée, et mise
en terre par d'affreux et dangereux fanatiques.
Soûle de tristesse,
seuls le goût des cendres ainsi qu'une profonde amertume l'habitent encore. Sa désespérance l'a rendue cynique et amère. En désespoir de
cause, après avoir ramassé ses forces et rassemblé tout son courage et
sa hargne, elle s'est lancée à la recherche de cette légende vivante.
Ce Seigneur dont les exploits bercent les campagnes de sa jeunesse.
Le Seigneur de Minuit. Le bandit des grands chemins flamboyant,
foudre des combats à l'épée et au pistolet, l'incomparable
cavalier, le séducteur irrésistible. Lorsqu'enfin elle le piste
jusque dans sa tanière, un château en ruine perdu au milieu de
nulle part, à la frontière espagnole, elle perd le peu d'illusion
qui pouvaient lui rester.
S.T. Maitland n'est plus que l'ombre de
lui-même. Il tangue, il vacille, en but aux moindres pierres, roches,
aux moindres virages, aux moindres mouvements brusques. Toute son
attente retombe comme un soufflé : cet homme-là, aussi beau soit-il,
avec sa carrure élancée et musclée, ses longs cheveux méchés de soleil,
et ses yeux dorés, ne lui sera d'aucune utilité. Car S.T. Maitland
est très diminué : à moitié sourd, en proie à de vigoureux vertiges qui le
laissent tremblants, le tout à la suite d'une trahison amoureuse, il
se terre, dans la seule compagnie de son loup, Nemo, sur ces terres
de Provence désertiques.
Les premières dizaines de pages nous
présentent donc la rencontre de ces deux êtres diminués, meurtries
et handicapées, en but à une solitude et une souffrance intérieures
permanentes. Pour lui, d'emblée, c'est une évidence. Il l'appelle
Sunshine, voit au-delà de cette aridité coupante, et abandonne tout
ce qui avait fait sa vie : sa peinture, sa solitude, sa sécurité.
Il se voue et se dévoue à sa cause, en dépit de son opposition farouche. Il
n'aura dès lors de cesse de lui prouver qu'il vaut bien plus que ce
qu'elle croit. Car Leigh a la dent dure, elle tape fort, très fort,
maniant le mépris et le cynisme avec acharnement, le faisant douter
de lui-même alors qu'il ne cesse de rêver de s'accomplir sous ses
yeux. Pour elle, il n'est qu'apparence, ombre dans la nuit, un
falsificateur qu'elle méprise, dont elle s'acharne à moquer les difficultés, et
dont elle broie les sentiments auxquels elle n'ajoute pas du tout foi. Dans les entrelacs de leur relation, elle le laisse cependant disposer de son corps. Mais S.T. rêve d'autre chose.
He wanted love, he wanted excitement and romance... He understood her message. He could have her body but not her soul.
S.T.
passe par des moments très durs, assombris de doutes, de souffrances
physiques et morales qui le laissent pantelant. Mais jamais il ne
perd le nord, son but ultime à lui : se réaliser devant les yeux de
son aimée. Se dévouer à elle, se faire son champion. Il y met
toute son âme, tout son cœur, toutes ses forces, tout son charme,
son intelligence, son esprit. Il devient dès lors cet incomparable
héros qui éveille la ferveur – de la lectrice, à défaut de celle de Leigh.
It
was a challenge, like the fencing and the riding ; he'd lost his
skill for l'amour and would have to restore it. His swordplay was
coming back ; he could feel it already. He could make her love him if
he managed everything properly. He would bring her to her knees.
On
le voit tout réapprendre, se réapproprier tous les talents, et plus
encore, puisqu'il finira, au bout de quelques centaines de pages tout
de même, par gagner l'amour de Leigh, cette belle jeune femme si
abimée qu'elle ne peut même plus envisager de se risquer à perdre
quoi que ce soit, à l'à-peu-près ou au non-infini.
Mon sentiment
Laura
Kinsale a encore une fois su écrire une magnifique aventure,
parsemée de voyages, de dangers, d'actes de bravoures et de courage
comme de trahisons.
Fabuleux
héros, perclus de défauts, et profondément humain, son personnage
masculin déborde d'une séduction solaire et incontournable. Il est
parfaitement, idéalement, irrésistible. Comme dans Flowers...,
l'auteur ne relâche jamais la pression, si bien qu'on ne reprend
son souffle qu'arrivé dans les toutes dernières parties du roman.
Les deux héros sont à la fois complémentaires et différents, l'un épris de tendresse et assoiffé d'amour et l'autre rigidifiée de tristesse et de peurs. Mais leurs routes, si elles se sont croisées, finiront magistralement par prendre la même direction. En passant par les routes poussiéreuses de Provence et les paroisses de la campagne anglaise, les salons londoniens et les forêts sauvages, le soleil italien et les frimas anglais. En compagnie d'animaux d'exception qui tiennent lieu à part entière de personnages secondaires
Certaines
scènes, certains passages sont à pleurer de beauté, ils suintent
de sensualité sans jamais tomber dans le graveleux ou l'outrancier,
et, alors que le résumé semble presque exagéré, on croit à cette
histoire extraordinaire, de sauvetage, encore une fois , et de
seconde chance (après Flowers from the Storm, My Sweet Foly et For
my Lady's Heart) .
La
reddition de Leigh m'a fait monter les larmes aux yeux, tandis que
l'épilogue, charnel, et bouleversante scène d'amour, m'a laissée
presque submergée par le talent de l'auteur.
Et
encore plus admirative parce que j'ai eu d'autant plus de mal avec
Leigh. Car Leigh est encore une héroïne détestable, à qui l'on
souhaite tout le mal du monde, mais que l'on rêve de voir heureuse
et épanouie, et qui provoque l'admiration.
Une
auteur dont la langue chante avec une parfaite harmonie, maniant artistiquement
les paysages, les sensations, les émotions, en une espèce de
maelström sensuel qui n'est pas sans évoquer Baudelaire ou
Rembrandt. Cette écriture sollicite tous nos sens, zébrée de
clairs-obscurs, de senteurs, d'éclats de métaux, de sons, un
langage plus que cinématographique qui m'a enchantée. Un incendie,
le dressage de chevaux maltraités, les roulades avec un loup, un
emprisonnement,...et tant d'autres moments, autant de fulgurances qui se sont
inscrites en lettres d'or dans mon esprit..
Et
j'ai envie de finir mon avis avec cette citation :
Don't leave me to be what I'll become without you.
La
quintessence du romantisme.
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